À EVREUX, LE ROCK DANS TOUS SES ETATS EST MORT.
Le RDTSE c’est comme une longue saga dont les scénaristes auraient changé mais dont les caractéristiques sont restées constantes : audace artistique, militantisme associatif, engagement humain.
Débuté dans l’esprit novateur des années 80, le RDTSE a épousé la vague du rock alternatif français dès ses débuts, tout en manifestant très vite une appétence pour la scène internationale.
Minoritaire, le RDTSE première époque est une petite révolution culturelle à lui tout seul dans la Normandie d’alors et Evreux fait figure d’avant-garde. Il bénéficie, il faut en convenir, d’une bienveillance des élus.
C’est dans cette configuration alliant esprit d’initiative de la société civile et ouverture des décideurs qu’a pu grandir le festival au cours de plusieurs décennies. C’est aussi dans ce cadre qu’est née la salle L’Abordage (1989) et plus tard (2001), l’idée d’une Scène de Musiques Actuelles (SMAC).
Cette bienveillance a cessé. Pas subitement, mais subtilement. Des étapes ont été franchies, une à une. L’équipe a avalé des couleuvres, une par une. Un travail de sape minutieusement orchestré. Chaud ou froid. Grondée puis félicitée... encensée puis humiliée.
Histoire d’un divorce annoncé
2005 : Jean-Louis Debré (maire d’Evreux de 2001 à 2007) renonce au projet d’une SMAC en centre-ville. Ce désaveu suscite des départs de l’équipe.
2008 : (déficit 130 000 euros) Le directeur est un employé de la ville mis à disposition de l’association. Son salaire est déduit de la subvention. Ce directeur parti, la subvention reste amputée de cette somme pendant plusieurs années. Jamais ce déficit ne sera apuré par la Ville et/ou ses partenaires.
2014 : Guy Lefrand est élu maire d’Evreux à l’issue d’une campagne très hostile à l’égard du projet de SMAC relancé par son prédécesseur Michel Champredon (maire de 2008 à 2014).
2015 : L’association est insécurisée. Manquant de visibilité sur les subventions, elle produit un festival dont l’audience est en baisse. L’édition relèvera cependant d’une belle maitrise du budget puisqu’elle ne sera pas déficitaire. Le chantier de la SMAC est achevé.
2016 : la Ville crée un EPCC (Etablissement Public de Coopération Culturelle) regroupant la SMAC, le Palais des Congrès et la Scène Nationale. L’association est ainsi écartée de la gestion de la nouvelle SMAC, attendue depuis 20 ans, alors qu’elle était la cheville ouvrière du projet.
Pourtant, la Ville, le Département et la Région encouragent l’association à produire une édition 2016 ambitieuse. En juillet 2016, le personnel de l’Abordage est transféré vers l’EPCC
Un gouffre financier ?
Selon la mairie, le sauvetage de l’Abordage nécessite 300 000€ un jour, 500 000€ le lendemain, puis 600 000€ le troisième jour, et aujourd’hui 1 million d’euros. Qui dit mieux ?
Les sommes évoquées par les élus, sans vérification sérieuse, sont pure fantaisie.
- La ville base ses calculs sur une photographie des comptes au 31 octobre.
- Toutes les factures éditées par l'Abordage n'ont pas été réglées et il subsiste des reliquats de subvention à recevoir.
- L'association n'a pas contracté de dettes bancaires, a soldé tous ses salaires et ses cotisations.
- Un scénario réaliste (accepté par nos trois financeurs lors d’un RV en octobre 2016) avait été envisagé avec les collectivités pour stabiliser financièrement la structure (apport de trésorerie), mais contre toute attente, ce scénario a été balayé d’un revers de main par le maire.
Au final, très loin du gouffre financier, argument imparable, dénoncé par la mairie, ledéficit cumulé (de 2008 à 2016) du RDTSE est compris entre 240 000 et 260 000 euros, ce qui correspond à peu près à notre dette fournisseur.
« On ne flambe pas, on ne racole pas, on se contente du rock »
La politique culturelle envisagée par la municipalité ne souhaite pas laisser de place aux projets indépendants. La ligne artistique du RDTSE déplait à Guy Lefrand, qui, de plus, lui préfère une structure aux ordres. Plus « adaptée ».
Insensible à la découverte, à l’innovation et au développement de la scène locale, il préfère voir alignés sur l’affiche des artistes vus à la Télé. Il tourne le dos aux choix artistiques qui ont pourtant fait la réputation d’Evreux et le succès de son festival. Son véritable ADN reconnu et unanimement salué :
Les Inrockuptibles : "Un des meilleurs festivals de France, qui a le plus de cœur, qui réussit chaque année le meilleur équilibre entre le plaisir de masse et la programmation de groupes excellents"
Metro : "Le festival le plus défricheur"
Libération : "Un des sommets du genre, avec une programmation exigeante"
Télérama : "A Evreux, depuis trois décennies, on ne flambe pas, on ne racole pas, on se contente du rock, sous toutes ses formes, sans franchir la ligne jaune du très consensuel n'importe quoi"
Rolling Stone : "La volonté de maintenir coûte que coûte une programmation ambitieuse mérite d'être soutenue et récompensée"
Un festival chasse l’autre ?
Le rock dans tous ses états est mort mais... « Le festival » vivra !
« Le festival vivra », c’est ce qu’affirment Guy Lefrand, Maire d’Evreux, auto-proclamé défenseur des musiques actuelles, et les élus. Malgré les retards qui vont forcément augmenter les coûts de production, un festival et une nouvelle association sont déjà annoncés. Nos élus sabordent l’Abordage mais assurent dans la foulée qu’il y aura un festival. Qu’ils financeront.
L’argent, qui manque pour aider un événement prestigieux et ancré localement depuis 33 ans, abonde maintenant pour monter de toute pièce un événement « maison ». Ce serait bêta que le coût pour les collectivités de « le festival » soit équivalent, voire supérieur, à la subvention promise et qui aurait permis au RDTSE de continuer à exercer son savoir faire. Ca poserait des questions. La question se pose déjà. Un festival contre un autre, ou on se fait des idées ?
Fiers !
Nous sommes fiers d’avoir défendu l'excellence en refusant de céder à la tentation du musicalement correct.
Fiers d'avoir privilégié la dimension humaine du festival, de n'avoir jamais oublié la qualité d'accueil du public et des artistes.
Fiers de nos valeurs, transmises de génération en génération.
Fiers d’avoir porté haut les couleurs ébroïciennes.
La fin de l’Abordage signe la mort du RDTSE. C’est l’abandon d’une mobilisation démocratique, d’une initiative de la société civile au profit d’une simple prestation de service en réponse à une commande politique.
Beaucoup de mauvaises fées se sont penchées sur l’Abordage et le RDTSE, elles sauront se reconnaître. Et elles ont gagné. Ce bien précieux, cet emblème culturel, cette belle synergie de volontés, c’est terminé.
La parenthèse enchantée s’est refermée, la lumière s’éteint sur la ville d’Evreux. Rien ne remplacera 33 années de mobilisation citoyenne, de rêve et d’enthousiasme anéanties en un début de mandat.
L’équipe de l’Abordage, et du RDTSE.
20 décembre 2016.